ELVIFRANCE; les petits formats pour les grands
Destinée dans l’esprit de beaucoup aux enfants, la BD a su devenir adulte et s’adresser à un lectorat « adulte »
Les grandes maisons d’édition ont su partager leur catalogue mais certaines ont choisi de se tourner vers un public composé d’adultes.
Parmi celles-ci la société ELVIFRANCE tient une place non négligeable et pas uniquement parce qu’elle est la maison d’édition française à avoir eu le plus de titres victimes de la censure (voir l’article « ANASTHASIE et DAMOCLES » sur ce blog) mais aussi parce qu’elle a publié un nombre imposant de fascicules en « petits formats » et a régner pendant des années sur la BD dite « de gare »
L’histoire d’ELVIFRANCE est aussi celle d’un homme : Georges BIELEC
Né le 21 octobre 1936 à MONDEVILLE dans le CALVADOS, Georges BIELEC se destinait d’abord au théâtre.
Le succès tardant à venir il entre en octobre 1961 au service des ventes de « L’EXPRESS » où il rencontre Annette SAVARY qui deviendra son épouse et surtout un pilier incontournable des futures éditions ELVIFRANCE
Ses expériences dans la presse se multiplient, mais ce, c'est sa collaboration, à partir de décembre 1964, aux diverses sociétés d'éditions de Max CANAL (Edi-Europ, Idées Images, les Éditions de Poche) qui l'amène à la bande dessinée.
Georges BIELEC devient officiellement, en 1968, le directeur des publications Idées Images dont les photoromans sexy et les magazines de pin-up sont entièrement rédigés par Annette.
Les Éditions de Poche, parallèlement à la publication de toute une série de photoromans policiers s'orientent vers la BD pour adultes avec notamment leurs premiers pockets érotiques d'origine italienne ; connus sous le nom de « Fumetti per Adulti »
Parmi ces titres, MESSALINE et GOLDRAKE proviennent d'une toute jeune maison d'édition milanaise, ERREGI ("R et G" prononcé à l'italienne, du nom des deux associés qui la dirigent, Giorgio CAVEDON et Renzo BARBIERI).
À la suite d'un impayé des éditions CANAL à ERREGI de certains droits d'auteurs, CAVEDON et BARBIERI décident de publier eux-mêmes leur production. Ils contactent Georges BIELEC et créent ELVIFRANCE SARL le 28 avril 1970.
ISABELLA (dessiné par Sandro ANGIOLINI sur des scénarii de CAVEDON lui-même) et JUNGLA (dessiné par Stelio FENZO et Mario CUBBINO sur des scénarii de TRIVELLATO) sont les premiers titres à paraître en France, en juin 1970.
Isabella fut 1a 1ère héroïne à paraitre nue (BARBARELLA ayant été victime quelques années plus tôt de la loi de 1949)
JUNGLA est reconnaissable au trait de Stelio FENZO proche de celui Du maitre Hugo PRATT dont FENZO fut assistant
Suivent, pêle-mêle, LUCIFERA, GOLDBOY, JACULA, LUCRECE etc.,
Jacques SADOUL fut le premier à citer ISABELLA et JUNGLA dans son ouvrage « L’Enfer des Bulles » et ELVIFRANCE publia un second opus de cet auteur consacré aux héroïnes italiennes.
C’est avec ce recueil (davantage une étude qu’une BD) qu’en mai 1972, le nom d'ELVIFRANCE fait son entrée au Journal officiel, à la rubrique des publications interdites par le ministre de l'Intérieur (loi du 16 juillet 1949 dite "sur les publications destinées à la jeunesse").
Une simple prohibition aux mineurs sans conséquences, mais qui inaugure une longue, très longue série
Si la Commission n’apprécie guère les pockets ELVIFRANCE les lecteurs font le succès de la société de » Georges BIELEC.
A la fin des années 70 et au début des années 80, la filiale française se retrouve même leader par rapport à sa maison mère italienne.
La société emploi alors dix-huit employés à temps complet et seize à temps partiel, vingt à trente titres paraissent chaque mois. Ceux qui se vendent le mieux sont parfois réédités (la série les Grands classiques de l'épouvante est consacrée à ces rééditions) et ont alors l'avantage, étant déjà parus précédemment, de ne pas être soumis au dépôt préalable (la Commission accepte de ne recevoir qu'un courrier annonçant leur parution).
Quelques publications à la présentation différente sont essayées : des pockets en couleurs, des séries d'albums couleurs,
voire même des produits totalement atypiques de la maison comme « Seconde main », un hebdomadaire payant de petites annonces gratuites au tournant des années 70-80, ou encore « l'Os à moelle hebdo », relançant avec Jacques PESSIS le fameux journal de Pierre DAC en 1984.
Mais les années 80, voient le marché du pocket chuter. Mes tirages chutent
Seuls les pockets à l’italienne se vendent encore mais ces BD italiennes pour adultes évoluent de plus en plus de l’érotisme vers une franche pornographie.
La dernière grosse série d'interdictions, celle de PASQUA, en décembre 1987, sonne le glas. Dans les années 90, Georges BIELEC tente de trouver de nouveaux débouchés auprès des jeunes mais, dans le domaine de la BD, n'essaie plus d'innover.
Le 15 avril 1992, ELVIFRANCE et NOVEL PRESS, une filiale des dernières années, déposent leur bilan.
En juillet 1993, Georges BIELEC, qui souffrait de problèmes de circulation sanguine, décède à l'hôpital à la suite d'un pontage.
ELVIFRANCE reste l'éditeur quantitativement le plus interdit de toute l'histoire de la presse et du livre en France avec, en vingt-deux années d'existence, 532 titres interdits aux mineurs, 176 titres interdits d'exposition et 36 titres interdits, de plus, de toute publicité .
Editeur sulfureux, ELVIFRANCE reste un monument de la BD populaire et aujourd’hui encore ses meilleures séries sont considérées comme incontournables ?
Le seul nom ELVIFRANCE réveille le souvenir de BD « pour adultes » qui sont aujourd’hui parfois recherchées des collectionneurs