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Le blog de PANSE

ANASTHASIE et DAMOCLES

10 Novembre 2009 , Rédigé par PANSE Publié dans #THEMES DIVERS

"Anasthasie a encore frappé !", disait-on autrefois pour expliquer certaines coupes franches dans les livres et les revues...

 

Bien peu de médias échappent à la censure, et la bande dessinée pas plus que les autres. Bien au contraire : il s'agit tout de même, au départ, de protéger nos chères têtes blondes des contenus éventuellement pernicieux des petits miquets. C'est ainsi, pour ce qui est de la France, qu'a été promulguée la loi du 16 juillet 1949 sur les publications destinées à la jeunesse, qui est toujours appliquée.

 

Au moment où elle fut votée, une foule de motivations semblait justifier cette loi. Marquée par quatre années d'Occupation, la France cherchait alors à se reconstruire sur de nouvelles valeurs, afin que les jeunes générations ne retombent pas dans la barbarie et l'obscurantisme passés. (C'est en tout cas l'état d'esprit dans lequel se trouvait, selon son propre aveu, l'un des promoteurs de cette loi, M. René Finkelstein.) Il fut donc décidé de créer un Comité de lecture pour vérifier le contenu des publications destinées à la jeunesse.

 

Elle précise entre autres que les B.D. « ne doivent pas présenter sous un jour favorable le banditisme, le vol, la paresse, la lâcheté, la haine, la débauche ou tous actes qualifiés crimes ou délits ou de nature à démoraliser l'enfance ou la jeunesse, ou à inspirer ou entretenir des préjugés ethniques ».

 

Comme son nom ne l'indique pas, cette loi concerne en fait l'ensemble de la production éditoriale française, ce qui a permis d'interdire en son nom nettement moins de publications destinées à la jeunesse que des autres.

 

L’anti américanisme, l’idéologie marxiste, la défense de la culture classique et les intérêts commerciaux visant à récupérer le marché envahi par les productions américaines permettent l’élaboration de ce texte le 16 juillet 1949

 

C’est « l’alliance de la faucille et du goupillon » qui unit à la fois les votes des députés communistes et ceux des conservateurs catholiques.

 

Dès les années 50, la loi de « protection » frappa les bandes dessinées de Pierre Mouchot (alias Chott, auteur et éditeur lyonnais condamné à un mois de prison parce qu'il avait dessiné un squelette et montré un peu de violence dans ses histoires…), mais aussi Tarzan et Le Fantôme du Bengale .



 

A cette époque qui aujourd’hui parait lointaine, les illustrés (on ne parle pas encore de BD) sont un sous genre, néfaste à la jeunesse, coupable de tous les maux, professeurs et éducateurs jetaient encore un regard plein de suspicion sur ces publications, qu'ils considéraient souvent comme des instruments "d'analphabétisation de la jeunesse"

 

Très vite, le glissement s'est opéré entre "publications destinées à la jeunesse" et "publications de toute nature présentant un danger pour la jeunesse".

La censure de la Commission de surveillance des publications destinées à la jeunesse s'est souvent abattue sur des bandes dessinées dont on se demande bien aujourd'hui ce qu'elles pouvaient avoir de pernicieux ou d'amoral…

 

Au chapitre des incongruités les plus célèbres, il fut réclamé à Franquin de gommer les revolvers que tenaient ses personnages dans Spirou et les héritiers. Résultat : ses héros étaient menacés par des index pointés...

 

Les éditions Dupuis furent souvent dans le collimateur des Censeurs, moins pour la violence et les aspects " amoraux " des bandes dessinées qu'elles publiaient que pour… leur nationalité ! Dupuis, tout comme Le Lombard et Casterman est un éditeur belge, ce qui, dans l'esprit protectionniste de la Commission de surveillance, était une tare honteuse…

 

Dans le même ordre d'idée, Lucky Luke, bien qu'il n'ait jamais fait couler une goutte de sang en plus de 50 années d'aventures, fut un jour jugé beaucoup trop violent... En 1962, Morris et Goscinny virent leur album Billy the Kid interdit à l'importation en France, parce qu'une image de cette histoire représentait Billy, bébé, téter un revolver... Quel mauvais exemple pour les jeunes lecteurs !

 

L’un des membres de cette commission, un certain M. BARBARICHE avait été frappé par le caractère « abominable » de cette image et déplorait la présence répétées de revolvers dans cet album, et préconisait la proscription des armes à feu …Le comble pour un western

 

BILLY THE KID sera réédité en France en 1963 amputé de deux demi planches (une attaque de diligence ayant également déplue)



et il faudra attendre 1981 pour retrouver le dessin originel


 
 

Plus surprenante encore fut l'interdiction levée contre un album de… Boule et Bill ! Dans la première édition de 60 gags de Boule et Bill#2, on voyait le chien Bill faire l'hélicoptère avec ses oreilles. Ce gag, plutôt attendrissant, fut qualifié par la Commission d'acte de torture envers un animal, et, par voie de conséquence, d'incitation à la cruauté…



 

Tout devint un prétexte pour empêcher les albums imprimés en Belgique de traverser la frontière. Sans doute sous l'impulsion des communistes, la Commission chercha des noises à Buck Danny pour les albums (il est vrai plutôt pro-américains) Ciel de Corée et Avion sans pilote.



 

 Les commissaires trouvèrent également déplaisantes les caricatures de policiers de Maurice Tillieux dans une enquête de Gil Jourdan : Popaïne et vieux tableaux…



 

Mais les éditions Dupuis n'eurent malheureusement pas le triste monopole des interdictions à l'importation.

 

Lorsqu' ALIX passa des éditions du Lombard à Casterman, deux albums de Jacques Martin furent menacés d'interdiction à l'étalage… " A cette époque, il y avait de véritables règlements de compte entre la France et la Belgique, se souvient aujourd'hui Jacques Martin. Les Légions perdues et La Griffe noire ont été interdits à l'étalage pour ''incitation à la haine et à la violence''… On me reprochait d'avoir dessiné un cagoulard sur la couverture, et on voyait dans ces histoires des insinuations directes à la guerre d'Algérie… C'était n'importe quoi, mais ces livres, avec une telle sanction, étaient voués au tombeau ! Je m'en suis ouvert à René Goscinny, qui est allé lui-même devant la Commission, pour que soit levée la censure. Il a obtenu gain de cause, pour mon plus grand soulagement ! "



 

Aux éditions du Lombard, les aventures de Blake et Mortimer connurent les mêmes soucis : selon les commissaires, les histoires de Jacobs étaient, elles aussi, des " incitations à la haine et à la violence "…



 

Tant de mauvaise foi, concernant des bandes dessinées manifestement peu propices à l'incitation à la débauche, ne trompe pas : derrière les décisions de la Commission de surveillance se dissimulaient bien souvent des arguments de censure économique très éloignés des motivations premières de la loi du 16 juillet 1949.

 

HARA KIRI, fut souvent victime de cette loi mais pas autant que les éditions ELVIFRANCE, spécialisée dans les petits formats mêlant horreur, humour, aventure avec une constance : l’érotisme et qui connut 532 titres interdits aux mineurs et 176 titres interdits d'exposition. !



(l'un des 1ers titre d'ELVIFRANCE en 1970)
 

Devant les risques encourus devant la commission de surveillance, les éditeurs devancèrent les souhaits de ces membres en se livrant d’eux même à une auto censure ce sui créa certes des emplois comme « rallongeur de jupes » ou effaceur de nombrils »

 

BARBARELLA, interdite en 1965 est reparue (sans que l’interdiction soit levée, ce qui prouve l’utilité de cette commission) dans des versions légèrement différentes montrant l’évolution des mentalités.






 

CASTERMAN a « recadré » une case de l’ « ETE INDIEN » de PRATT et MANARA en…1984 (c’était hier)



(a noter que la finesse du trait disparait lors du recadrage)
 

Mais les cas les plus étonnants de censure concerne la B.D. pour la jeunesse, et pas forcément en matière de sexe, loin de là. On peut même dire qu'il en a souvent fallu très peu pour qu'un album soit censuré.

Premier exemple : Lucky Luke. Dans l'album « Hors-la-loi », Morris raconte l'épopée des Dalton, les premiers de la série, calqués sur les véritables frères Dalton et qui meurent à la fin de l'album. La mort de Bob Dalton parut un peu dure aux éditions Dupuis qui demandèrent à Morris de redessiner la scène :





 

Les aventures de Tintin ont été redessinées et modifiées un grand nombre de fois pour des raisons très diverses, parmi lesquelles une forme de censure. Par exemple, pour répondre à la demande d'un éditeur américain qui refusait la mixité raciale jusque dans les pages de ses publications, la case du « Crabe aux pinces d'or » ci-dessous fut redessinée :



 

Le plus désagréable dans cette histoire est que c'est maintenant la case du bas que l'on retrouve dans toutes les éditions de cet album !

 

 L'alcoolisme n'est pas non plus recommandé et on a donc, dans la même histoire, remplacé l'action de boire, trop visible, par un petit complément de dialogue (rassurez-vous, en ce qui concerne Haddock, le résultat final est le même).




Il est certain que, de la même manière, beaucoup d'auteurs pour la jeunesse évitèrent pendant longtemps de glisser dans leurs histoires les éléments qui pouvaient leur valoir des ennuis : violence, drogue, alcoolisme et jolies filles.. Quand on voit comment certaines éditons catholiques retouchaient « Prince Vaillant » dans les années 1940, on ne peut guère lui donner tort.



 

Certes de nos jours, avec l’évolution de la société, la censure et l’auto censure sont moins virulentes.


Moi même j'ai peut être passé outre ce texte en imaginant cette case extraite d'une des planches du second volume des "INDIENS" (en cours de réalisation)


 

Toutefois cette loi qui date de1949 est toujours d’actualité.

 

Posons nous la question :

Une loi non appliquée a t’elle encore sa place? 

Son maintien fait planer un risque permanent sur la Bande Dessinée qui a su depuis gagner en même temps qu’un public adulte, ses quartiers de noblesse artistique.

Protéger la jeunesse est louable, mais pourquoi protéger nos têtes blondes de la lecture de Bandes Dessinées « choquantes » quand la violence déborde des dessins animés et que le corps féminin se dévoile à longueur de publicité ?


L'usage de retouches ou recadrages ne sont ils pas des "trahisons" du travail original d'un artiste et en ce sens tout aussi condamnable sur le plan moral?
 

Oscar WILDE disait : « Il n’existe aucun art que l’on puisse qualifier de moral ou d’immoral, il y a seulement, en ce domaine, la qualité ou la médiocrité. »

 

C’est pourquoi, afin de faire disparaître cette épée de DAMOCLES, véritable bombe oubliée qui pourrait être une arme redoutable entre les mains d’un quelconque pouvoir voulant restaurer une pseudo morale ou utiliser un argument  électoraliste et populiste, je fais ce rêve dans lequel nos législateurs publieront une loi conforme aux libertés acquises dans notre société moderne et que je souhaiterais que ceux et celles qui auront eu le courage de lire ce long article jusqu’au bout d’interpeller leurs représentants en ce sens.
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